Prévu dans le plan “France Numérique 2012”, théoriquement financé par le public et le privé, le déploiement du très haut-débit via la fibre optique devrait se concrétiser un jour… Enfin pas aussi vite qu’on ne le pense et surtout pas pour tout le monde…

Aujourd’hui le haut-débit est “officiellement accessible à la quasi totalité de la population” (pas de chance si vous n’êtes pas dans cette quasi totalité ou que vous avez du “quasi haut-débit”, voir posts précédents, ça ne va pas s’arranger). L’occasion donc de remettre les compteurs à zéro et de penser à l’étape suivante, demain, le “Très Haut-Débit” (avec des majuscules, ça en jette plus).

Si le haut-débit plafonne à 20 Mbps, le Très Haut-Débit nous promet des 100 Mbps (déjà ce sera pas mal si ça atteint 50 Mbps à grande échelle), et en plus symétrique ! (le même débit dans les deux sens, au contraire de l’ADSL avec son “A” pour “asymetric” qui ne dépasse pas les 1 Mbps sur la voie montante).

Pour cela la France a choisi (comme la Corée ou le Japon, mais pas comme d’autres pays j’y reviendrai), la technologie de la fibre optique, plus précisément la FttH (“Fiber to the Home” ou “Fibre jusqu’à l’abonné”) en lieu et place des technologies utilisant la boucle locale cuivre actuelle.

Tout cela représente, au contraire de l’ADSL qui utilisait un réseau (téléphonique) existant, un nouveau réseau à construire, de nouvelles règles à établir… On se concerte donc entre état, régulateur (ARCEP), opérateurs pour savoir qui construit quoi, dans quelles conditions.

Pour le moment le fruit de ces cogitations ont abouti à ces quelques résultats :

  • La France a été divisée en 3 zones : les zones très denses (en gros les centres des villes de plus de 100000 habitants), les zones denses (les autres villes et les zones péri-urbaines) et les zones peu denses.
  • Sur ces 3 zones, seule la première est précisément définie (pour les autres ça viendra, un jour).
  • Des règles ont été édictées pour les zones très denses, à savoir que ce sont les opérateurs privés qui peuvent y déployer des réseaux fibre optique, comme ils le sentent (ou comme cela leur parait le plus rentable) avec possibilité éventuelle accordée de mutualiser certaines parties entre opérateurs, mais en gros aucune obligation (de couverture, de délais…) imposées à ces FAI.
  • Pour les zones denses, les mêmes possibilités de mutualisations seront offertes, enfin quand les FAI daigneront y poser leurs fourreaux
  • Pour les zones peu denses, rien n’est encore décidé, ce sera aux collectivités locales d’amener, de soutenir et de financer des projets…

Cerise sur le gâteau, l’état va attribuer grâce au futur “Grand Emprunt”, 2 Milliards d’euros à la construction de ces réseaux Très Haut-Débit. Très bien tout ça, mais combien ça couterait de construire des réseaux FttH pour 100% de la population ? (pas question de nous refaire le coup de l’ADSL, ses zones blanches ou grises !).

La DATAR (“Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale”, ouf) a justement publié cet hiver avec les cabinets Tactis  et Seban & Associés une étude “Déploiement des réseaux très haut débit sur l’ensemble du territoire national – Technologies et coûts de déploiement, mécanismes de soutien possibles” (à télécharger ici). De cette étude, il ressort qu’un tel réseau couterait aux environs de 30 Milliards d’euros dont 15 de financement public direct.

À première vue il y a comme un hiatus entre ces 30 Mds€ et les 2Mds€ promis par l’état avec le grand emprunt… ça ne va pas le faire !

En y regardant de plus près, ces 30 Mds€ ne sont pas un chiffre aussi énorme qu’il n’y parait. C’est l’équivalent (en euros constants) de ce qu’a couté il y a 30-40 ans la construction du réseau téléphonique, entièrement financé par l’état, rentabilisé depuis, très rentable maintenant…

Donc pourquoi ne pourrait-on pas aujourd’hui réengager un tel chantier ?

  • Il n’y avait pas d’opérateurs privés pour le réseaux téléphoniques il y a 40 ans.
  • Ces opérateurs privés, on l’a vu, construisent des réseaux là où c’est le plus rentable et le moins cher (en ville).
  • Resterait alors pour le public à construire les réseaux là où c’est moins voire pas du tout rentable. L’étude de la DATAR donne d’ailleurs une intéressante répartition des coûts suivant les tranches de populations couvertes par le réseau :
  • Théoriquement pour cela il existe des mécanismes de péréquation (en gros on finance là où ça coute cher avec les excédents dégagés là où c’est rentable).
  • Sauf que dans notre équation FttH on a “donné” les zones rentables au privé. Difficile de faire fonctionner une péréquation dans ce cas.

Mais si l’on prend le réseau FttH dans son intégralité (zones rentables et non rentables), l’investissement sera rentable. En partant de l’hypothèse que les 25 millions de foyers connectés à ce réseau reversent chaque mois 10 € pour celui-ci (ce qui correspond à ce qu’un FAI paye aujourd’hui à France Telecom pour une ligne ADSL), on arrive à amortir l’investissement en 20 à 25 ans ! (en comptant la maintenance du réseau et les intérêts). Donc c’est possible de le faire, ce n’est qu’une question de volonté politique !

Pour finir, un petit addendum sur les arguments allant contre un réseau 100% FttH :

  • Il couterait moins cher de ne couvrir qu’une partie de la population en FttH et de compléter pour les autres avec d’autres solutions alternatives  : montée en débit dans la sous-boucle cuivre (voir mon post précédent), technologies sans-fils LTE (“Long Term Evolution”, technologie sans fil qui n’existe pas encore mais qui promet monts et merveilles, qui promet…). La DATAR chiffre même qu’en ne couvrant en FttH que 80% de la population et en complétant les 20% restant avec les technologies pré-citées, on descendrait à 18 Mds€ dont 8 d’investissement public. Pourquoi pas me direz vous, si c’est moins cher ? Il est inacceptable que l’on nous refasse le coup de l’ADSL : égalité, même technologie, mêmes performances, mêmes débits, mêmes tarifs pour tous !
  • D’autres pays n’ont pas choisi la fibre optique pour le Très Haut-Débit mais le VDSL-2. Celui-ci est un “cousin” de l’ADSL qui utilise aussi la boucle locale cuivre (donc pas de nouveau réseau à construire, en tout cas beaucoup moins) mais beaucoup plus puissant (34 Mbps en symétrique et 100 Mbps en asymétrique). Tellement puissant qu’il ne peut cohabiter avec l’ADSL. Si on passe un NRA en VDSL toutes les lignes doivent y passer, toutes les box doivent être changées en même temps… gênant pour les FAI. C’est du moins une des raisons données pour expliquer que cette technologie moins chère, quasi aussi performante que le FttH a été bloquée en France, par Octave Klaba, fondateur de OVH (un des plus grands  hébergeurs vendeurs de noms de domaines en France) dans un “coup de gueule” récent à lire ici. Même si c’est trop tard, le choix FttH étant déjà fait, Octave n’a pas franchement tort…
  • Enfin certains objectent que “les français n’ont pas besoin du Très Haut Débit”. Un bon haut-débit suffirait pour les usages actuels… Sauf que les usages évoluent vite, très vite. Et à l’heure ou des réseaux “encore plus haut débits” vont voire le jour un peu partout, ce serait pas mal que la France ne rate pas le train… et n’oublie personne sur le quai cette fois. :-)